La certitude des pierres by Jérôme Bonnetto

Auteur:Jérôme Bonnetto [Bonnetto, Jérôme]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 978-2360840274
Éditeur: inculte
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

Le chœur des femmes bruissait dans les couloirs, sur les perrons, dans l’entrebâillement des portes. Les femmes sortaient une ou deux chaises dans l’ombre, là où les courants d’air faisaient tourner le moulin des histoires. Bien des choses se passaient dans ce presque rien, ce prélude aux conseils des alcôves. Des avis étaient débattus et des ordres susurrés aux oreilles des hommes. On les pilotait depuis ces vieilles chaises en paille tressée. Pour le passant, le chœur des femmes peignait le village d’une couleur locale, mais s’en tenir là aurait été une méprise de touriste, car il se jouait bien plus dans ces triangles improvisés. Des histoires, comme dans toute littérature. On donnait raison à untel, on condamnait, on dégageait des principes ; le chœur des femmes se répandait discrètement dans l’air comme on souffle sur la fleur de pissenlit des dictionnaires Larousse. Rome s’est faite avec le chœur des femmes et le corps des hommes. On a détruit Babylone par corps d’hommes soumis au chœur des femmes. C’était il y a longtemps et tout cela finirait bien par changer. Mais pas à Ségurian.

Le berger, ses moutons et ses problèmes. Le chœur des femmes s’ouvrait sur une étrange mélodie, tremblante, incertaine, comme le vol d’une chauve-souris en plein jour. Puis le chant fuguait un peu plus bas. Pianissimo. On hésitait un peu, même les femmes de chasseurs vacillaient, surtout celles qui avaient une tendresse pour la tranquillité et les bêtes blessées, mais il faudrait bien s’accorder. Il y en avait une ou deux qui parlaient plus fort que les autres au bout de la rue, les solistes entraînaient le chœur. À l’épicerie, on restait perplexe et on s’avançait à tâtons, on écoutait l’autre, on donnait la deuxième voix, on s’unissait doucement. Le sort du berger était désormais un fil tiré par le chœur des femmes, une corde vocale. Rinforzando. On parlait d’un chien abattu gratuitement. L’idée ferait son chemin, elle deviendrait un refrain. Dans quelques jours, le chœur des femmes allait trancher et condamner le berger, tueur de chiens. Ad vitam æternam.

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